Des oliveraies pour lutter contre la désertification ?
D'où viennent les olives et l'huile d'olive que nous consommons au quotidien ? À l’évocation d’une oliveraie, nous imaginons des arbres centenaires plantés en terrasse sur les collines provençales ou toscanes. Ces paysages ancestraux ne reflètent cependant qu’une facette de l’oléiculture, dont la réalité est aujourd’hui plus diverse et contrastée, avec des impacts variables sur l’environnement.
Au cours des soixante dernières années, les grandes exploitations oléicoles se sont multipliées, particulièrement en Espagne, rattrapant les oliveraies plus traditionnelles dans la production globale d’olives. Ces vastes domaines s’appuient le plus souvent sur des méthodes agricoles "conventionnelles" pour gagner en productivité, c'est-à-dire l'irrigation, les produits phytosanitaires (engrais et pesticides chimiques), la mécanisation et des densités élevées d’arbres.
Le développement assez récent de l’oléiculture dite « à très haute densité » (ou super-high density) est symbolique de cette quête de productivité. Ces oliveraies peuvent compter jusqu’à 2500 arbres par hectare, contre 80 à 120 arbres dans les oliveraies traditionnelles.
Différents rapports, émanant tant d'ONG que d'organismes publics, ont souligné l'impact négatif de l'oléiculture intensive sur l'environnement [2]. L'érosion des sols dans les oliveraies figure parmi les plus grands sujets de préoccupation, de nombreuses zones oléicoles étant naturellement exposées à ce risque. La mauvaise gestion des sols dans les oliveraies andalouses, liée à l’utilisation immodérée d’herbicides, a ainsi contribué à un important phénomène de désertification dans la région [3].
Des modèles aux antipodes
À l’inverse, les oliveraies traditionnelles, qui ont été plantées pour la plupart avant les années 1950, ont un effet positif démontré sur la qualité des sols, la rétention d'eau et la biodiversité, en plus de leur valeur paysagère [2]. C’est du moins le cas si elles sont cultivées en faisant un recours limité aux pesticides et autres produits chimiques, situation généralement observée dans ces oliveraies cultivées de façon familiale.
Les oliveraies avec une faible densité d'arbres constituent également des coupe-feu efficaces, car le bois d'olivier, contrairement aux essences de pin ou d'eucalyptus, n'est pas un bon combustible. Suite à l’incendie ravageur de la montagne Sainte Victoire en 1989, le département des Bouches-du-Rhône avait justement décidé de planter des oliviers sur le plateau du Cengle, contrefort de la montagne.
De plus en plus d’oliveraies traditionnelles sont malheureusement laissées à l’abandon car non rentables compte tenu des prix du marché. Leur configuration, leur relief et leur taille les rendent peu propices à la mécanisation, et donc plus exigeantes en main-d'œuvre, sans compter que les variétés d’olives présentes sont parfois moins productives.
Les oliviers ont besoin d’un entretien minimal pour s’épanouir. Cependant, quand ils sont abandonnés, ils sont peu à peu envahis par des plantes invasives comme le lierre, puis à terme remplacés par d'autres espèces. Avec une huile d'olive disponible en supermarché à des prix proches de leur coût, des terres qui nourrissaient des villages, parfois depuis des siècles, sont massivement délaissées, en Italie comme en Espagne [4].
Mais tout espoir n’est pas perdu pour les oliveraies traditionnelles. Des associations telles que Gli Olivi di Etruria en Italie sensibilisent les populations locales à leurs bénéfices et forment ceux qui souhaitent redonner vie aux oliveraies abandonnées. "Dans ma petite ville de 10 000 âmes, il y a plus de 15 000 oliviers abandonnés, et plus de 100 000 dans tout le canton. C'est une tragédie, une situation absurde dont peu de gens sont conscients", explique Pierluigi Presciuttini, président et fondateur de l'association qui a déjà sauvé des centaines d'oliviers de l'abandon.
Dans le même esprit, une nouvelle génération de producteurs d'huile d'olive, de "troisième vague" pour faire une analogie avec le café, a entrepris de restaurer des oliveraies abandonnées avec un objectif de qualité voire d’excellence, au niveau tant gustatif qu’environnemental. C’est le cas notamment de Marco Rizzo en Campanie, ou d’Andrea Lucarelli et de son comparse Andrea Cecconi (de Stoica) en Ombrie.
D'autres producteurs, comme La Olivilla en Andalousie, ont montré que des oliveraies cultivées de façon intensive peuvent être converties à des modes de culture plus durables grâce à la biodynamie, au prix d’un effort important mais avec des résultats tangibles (et rapides) sur la rétention d'eau, la biodiversité et l'érosion. Une image satellite de leurs parcelles montre de façon saisissante l'impact environnemental de leur travail, le vert de leurs parcelles stoppant net l’avancée du désert de Taberna.
Une tendance encourageante de conversion à l’agriculture biologique s’est également amorcée dans l’oléiculture intensive. De façon pragmatique, des producteurs font le constat qu’ils gagneront en compétitivité à moyen terme grâce au bio, selon un article publié l'année dernière dans l'Olive Oil Times [6].
Des modèles plus durables émergent ainsi dans la culture des oliviers, avec un impact potentiellement important sur la rétention d'eau, la biodiversité, l'amélioration des sols, la capture du carbone et, au bout du compte, notre santé. À l'heure actuelle, nous surproduisons [5] avec un coût environnemental important. Les initiatives récentes démontrent que de nouvelles politiques, une meilleure information et les choix des consommateurs peuvent actionner de puissants leviers de changement.
[1] Dashboard du Conseil oléicole international
[2] “EU olive subsidies driving Mediterranean to ruin”, WWF, 18/06/2001
[3] “The Environmental Impact of Olive Oil Production in the European Union: Practical Options for Improving the Environmental Impact”, European Forum on Nature Conservation and Pastoralism
[4] '“200,000 Olive Farms in Spain Could Vanish in Next Decade, Report Finds”, The Olive Oil Times, Costas Vasilopoulos, 10/06/2019
[5] “Organic Olive Groves Flourish in Spain”, The Olive Oil Times, Daniel Dawson, 05/11/2019
[6] "“Olive oil has gotten so cheap that farmers in Spain are struggling to make ends meet”, Business Insider, 19/02/2020
“Tunis government buys surplus olive oil”, ANSAMed, 07/02/2012